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Le syndrome du jeu de rôle à pépé

Et si je vous parlais d’un temps, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître ?

Car, voyez-vous, de nombreux vieux cons comme votre serviteur, ont découvert les jeux de rôle au début des années 80, à une époque où seuls les Parisiens avaient la possibilité d’acheter un jeu ou un magazine en boutique.

Et de cette rareté est né un ensemble de pratiques qu’il m’a fallu un certain temps à déconstruire, ayant longtemps pensé qu’elles étaient normales, un peu comme un élève d’arts martiaux qui reproduit les travers de son professeur.

Pour vous la faire rapide, à cette époque, le meneur de jeu s’appelait « maître de jeu », et lorsqu’il acceptait un nouveau joueur à la table, il « l’initiait ». Et, bien souvent, cette initiation se résumait à lui faire créer un personnage de niveau 1 au milieu d’un groupe d’aventuriers niveau 10, sachant qu’il ne survivrait guère plus de 30 minutes à ce donjon machiavélique qu’il avait acheté (Tomb of Horrors) ou, pire encore, conçu de ses doigts gourds.

Le taux de perte était donc énorme, car rares étaient les joueu.r.se.s capables de supporter un tel traitement. Bien évidemment, les rares élus reproduisaient le schéma car s’ils avaient autant souffert pour gagner leur place au soleil, pourquoi simplifieraient-ils la vie des candidats suivants ?

Les aberrations auxquelles nous avons eu le droit sont si nombreuses qu’il me faudrait bien trop de pages pour les lister. Pour aller à l’essentiel, disons que cette « méthode scientifique d’apprentissage » s’appuyait sur les quatre piliers suivants :

  • Le réalisme
  • Le mérite
  • La punition
  • La compétition

Conformément à ces principes hautement pédagogiques, les joueurs tiraient les caractéristiques de leurs personnages au hasard (parce que personne ne naît avec les mêmes chances), et évoluaient grâce aux points d’expérience gagnés en triomphant au combat ou contre des pièges mortels. Bien évidemment, si un joueur était malencontreusement absent à une partie, il ne gagnait aucun point d’expérience et, pire même, il arrivait qu’il soit sacrifié par ses camarades en le plaçant en tête de l’ordre de marche. Car, est-il besoin de le rappeler, le but premier des joueurs était de battre le maître de jeu (et d’accumuler un maximum de pouvoir, d’objets magiques et d’argent, parfois sur les restes fumants de leurs compagnons) !

Ma pratique du jeu de rôle s’est donc développée à partir de cette base et, après avoir reproduit le système, j’ai progressivement décidé de le réformer dans son ensemble, en commençant avec les parties que je menais. Aujourd’hui, ma pratique s’appuie sur les édits suivants :

L’amusement des joueurs et du meneur prime sur tout le reste : c’est la raison pour laquelle je ponctue mes campagnes de séances de discussion pour échanger sur les envies de chacun pour corriger le tir le cas échéant.

Les personnages sont tous égaux : c’est la raison pour laquelle je n’utilise que des systèmes de création de personnage avec répartition de points, où le capital est identique pour tou.s.tes.

L’important c’est de participer : c’est la raison pour laquelle, les personnages reçoivent le même nombre de points d’expérience, que les joueurs soient présents ou absents. Et ils gagnent autant de points d’expérience en triomphant d’un boss, qu’en contribuant à l’histoire ou à l’ambiance de la partie (idée originale, idée ridicule, fou rire à la table, interprétation, etc.).

Ce sont les héros de l’histoire : que je prépare une intrigue ou qu’elle naisse de façon improvisée, l’histoire place toujours les personnages au centre de l’intrigue, avec comme règle fondamentale, que toutes leurs actions ont des conséquences dans l’univers, qu’ils le réalisent ou pas.

Plus il y a de cerveaux, meilleure sera l’histoire : comme l’ambiance de la table est de la responsabilité de ceux qui y ont pris place, les joueurs sont encouragés à contribuer à l’histoire (pouvoir narratif), à partir du moment où ils adoptent une approche constructive, que ce soit en inventant un PNJ, un lieu, une situation, une complication, etc.

Le plaisir avant tout : si jamais un joueur regrette quoi que ce soit à propos de son personnage (et que ça lui pourrit son groove), entre deux sessions, il a carte blanche pour modifier tout ou partie de sa feuille de personnage, ou pour créer le personnage qui le remplacera (toujours avec le même capital de points que ses camarades). Le meneur et ses camarades se débrouilleront pour trouver une explication aussi abracadabrante soit-elle pour justifier tout ça !

Conséquence de toutes ces règles, je ne prépare plus aucune partie comme on le faisait jadis. Avant de commencer une série d’aventures, je me contente de réunir les joueurs pour établir ce qu’ils aimeraient y trouver dedans, et pour bâtir les grandes lignes du bac à sable dans lequel ils évolueront. Et avant de démarrer la première partie, je ne réfléchis qu’à la scène d’introduction, ce qui me protège du Vil Tentateur, Railroader, l’incarnation maléfique de pépé !

(On me dit dans l’oreillette qu’un certain Sandy Julien n’aurait rien trouvé de mieux que de pourrir mon deuxième article de l’année avec des illustrations douteuses dont il a le secret. Ne le suivez surtout pas là : http://sandyjulien.com/)



5 réponses à “Le syndrome du jeu de rôle à pépé”

  1. Orlanth dit :

    Pareil que toi, 20 piges pour tout déconstruire.
    Tu peux ajouter, la compétition entre les joueurs dont le vol d’objets magiques/livres de sorts ou le TPK que j’ai banni aussi. Et les petits papiers. Et l’écran. Et les jets de dés. Pfiou….

  2. R of CS dit :

    Mais carrément ! Comme j’ai voulu faire court, j’ai forcément fait l’impasse sur pas mal de trucs mais, une chose est sûre, qu’est-ce que je suis content que ce soit derrière moi !
    Et je serais curieux de lire l’expérience de rôlistes qui ont découvert le jeu de rôle dans un climat bienveillant. Que font-ils désormais ? Comment jouent-ils ? Comment maîtrisent-ils ?
    Mais « Pfiou » comme tu dis !

  3. Juliette dit :

    ah mais c’est mon cas. j’ai découvert le JDR en écoutant simplement l’histoire, sans jouer. Et puis ma première campagne… avec toi en MJ :)
    je ne connais pas l’ancienne méthode, mais en tout cas, la tienne m’a rendue accro.
    J’avais un peu « peur » ne connaissant personne, et au fil du jeu & de l’histoire, j’y ai énormément pris goût.
    Avec l’ancienne méthode, je n’y serais pas revenue, c’est certain

  4. MSL dit :

    Globalement d’accord, moi qui ait fini avec ma première feuille de perso déchirée par le maître au bout de 3h car je jouais pas mon perso comme il fallait… (1983).
    Bien que j’ai un faible pour les règles (je pense qu’elle préserve de l’arbitraire et de le gueule du client), je crois bcp à la co création des perso et de l’histoire. Il faut donner du « jeu » à son maître, pour qu’il ne soit pas le seul à faire tourner la boutique, lui permettre à lui aussi de rebondir ou de partir sur un truc qu’il n’avait pas envisagé. Que le maître prenne autant de plaisir à jouer les NPCs que les joueurs avec leur perso… bref, que le monde ne soit pas juste là pour les joueurs « rushent » vers les objectifs et les XPs.
    Je pense que c’est un truc qui doit se travailler entre le MJ et les joueurs… mais pour ça il ne faut pas un groupe trop grand. En revanche, je n’aime pas les systèmes qui essaient de créer ça par des artifices (dé machin, bâton truc etc..) ça me donne l’impression d’être dans une séance de coaching ou de co développement…

  5. 20.100 dit :

    Excellent article mon bon ami !

    On a vraisemblablement suivi la même évolution.

    Je crois pouvoir dire que le fait d’avoir fait beaucoup de GN (non médiéval, et très roleplay comme tu le sais) a contribué à cette évolution : vouloir créer quelque chose de grand ensemble, et non pas juste une série d’obstacles.

    Aujourd’hui, alors que je suis passé à Cthulhu depuis 3 ans, je crois que je n’ai jamais fait aussi peu de combats et de jets de dés… on raconte une histoire ensemble, on s’écoute résoudre les énigmes, on se fait peur, etc. Et c’est bien !

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